Primoyster et STAR2 : stimuler la mémoire immunitaire des huîtres
L'augmentation de la fréquence et de la gravité des maladies chez les espèces aquacoles d'invertébrés marins constituent des menaces récurrentes. Depuis 2008, la production de l’huître creuse Crassostrea gigas est impactée par une maladie déclenchée par l’Herpès virus OsHV-1 qui affecte spécifiquement les juvéniles. Cette maladie a un impact significatif sur la production en raison du taux de mortalité élevé des animaux infectés, qui peut atteindre 100 % en l'espace de quelques jours.
Si, à ce jour, il n'existe aucun traitement prophylactique ou thérapeutique permettant de réduire ces épisodes, une alternative serait de stimuler les défenses immunitaires de l’huître creuse avant l’infection par le virus. Cette mémoire immunologique innée appelée priming immunitaire, ou immunité entraînée, est étudiée à travers le projet Primoyster, financé par l’ANR, et le projet de maturation STAR2, financé par la région Nouvelle-Aquitaine.
Interview de Caroline Montagnani, directrice adjointe de l’UMR IHPE à Montpellier et coordonnatrice de Primoyster, co-coordinatrice de STAR2, et Benjamin Morga, chercheur à l’unité « Adaptation et santé des invertébrés marins » à La Tremblade, co-coordinateur de STAR2.
Quels sont les grands objectifs des projets Primoyster et STAR2 ?
A travers nos projets développés depuis plus de 10 ans, nous avons mis en évidence l’existence d’une mémoire immunitaire innée chez nos organismes d’intérêt, les huîtres creuses. Nous avons fait la preuve du concept en laboratoire que cette mémoire pouvait être stimulée par l’exposition à différents agents (un ARN double brin synthétique simulant la présence du virus appelé poly(I :C)[1] ou plus récemment le virus OsHV-1 inactivé)[2] pour protéger jusqu’à 100 % des huîtres juvéniles face à une infection à OsHV-1.
L’objectif est désormais d’appliquer à large échelle cette méthodologie basée sur le priming immunitaire en vue de son application dans les élevages ostréicoles. Si STAR2 porte principalement sur le développement de la méthodologie grâce notamment aux infrastructures des plateformes de l’unité EMMA*, Primoyster a également pour objectifs de comprendre les mécanismes largement méconnus du priming immunitaire et l’origine moléculaire et cellulaire de cette protection, mais aussi d’évaluer les risques potentiels de cette application (impact sur la santé de l’huître et sur la dynamique de la maladie) et d’assurer la pérennité de cette solution biotechnologique en se focalisant aussi sur les enjeux humains et sociaux qui y seront inévitablement associés.
Qu’est-ce que le « priming immunitaire », et peut-on le transposer à d’autres espèces autres que l’huître creuse ?
Le priming immunitaire, ou immunité entraînée, est une propriété adaptative du système immunitaire inné largement ignorée jusqu’à il y une quinzaine d’années. Avant cela, le domaine de l’immunologie considérait impossible pour les invertébrés, dépourvus de cellules de type lymphocytes mémoire et d’anticorps, de développer une mémoire immunologique.
Aujourd’hui, il est admis que les invertébrés, des coraux, mollusques, crustacés jusqu’aux insectes, possèdent également les capacités d’apprendre d’une expérience passée face à un microorganisme, ou un parasite, pour développer une réponse immunitaire plus forte lors d’une exposition ultérieure face à un pathogène, et les protéger face à ces pathogènes. De nombreux travaux montrent que la mémoire immunitaire innée est largement partagée au sein du règne vivant. Son existence a été mise en évidence chez d’autres invertébrés d’intérêt aquacole (ormeaux, palourdes, crevettes [3]) mais de nombreuses questions restent encore ouvertes notamment sur les mécanismes biologiques à l’origine de ces phénomènes. Les futures recherches ne manqueront pas de s’intéresser à d’autres espèces aquacoles.
Primoyster vise non seulement à explorer ces mécanismes pour comprendre la mémoire immunitaire antivirale mais, nous l’espérons, servira également de pierre angulaire pour le développement de futures stratégies de lutte basées sur le priming immunitaire contre d’autres pathogènes ou chez d’autres organismes.
Quelles perspectives positives peuvent être attendues, malgré le réchauffement climatique ?
Outre l’opportunité de protéger contre des maladies touchant actuellement les huîtres, sans toucher à leur patrimoine génétique, et stabiliser les productions, cette méthode pourrait permettre d'initier un cercle vertueux pour protéger les huîtres et leur environnement. Dans un contexte où le changement climatique favorise l’émergence de nouveaux pathogènes, cette stratégie permettrait de limiter la présence de virus dans l'environnement, et ainsi l’émergence de futurs variants aux conséquences inconnues dans les élevages, comme en 2008 lors de l’émergence subite du variant µVar de OsHV-1. Mais n’oublions pas que les huîtres sont touchées par d’autres pathogènes et des maladies complexes polymicrobiennes, des travaux récents [4] ont montré une interdépendance et une synergie entre des pathogènes bactériens (Vibrios) et le virus OsHV-1. Contrôler la présence de ce virus offre donc aussi des opportunités pour atténuer les maladies polymicrobiennes et bactériennes.
Ces projets ouvrent donc des perspectives inédites très prometteuses pour développer des stratégies de lutte contre les maladies et pour protéger durablement cette ressource et les écosystèmes exploités pour l’élevage des mollusques.
*EMMA : unité Expérimentale Mollusques marins Atlantique
[1] Lafont, M., Petton, B., Vergnes, A. et al. Long-lasting antiviral innate immune priming in the Lophotrochozoan Pacific oyster, Crassostrea gigas . Sci Rep 7, 13143 (2017). https://doi.org/10.1038/s41598-017-13564-0
[2] Morga et al., 2024: Front. Mar. Sci., 23 April 2024, Volume 11 - 2024, https://doi.org/10.3389/fmars.2024.1378511
[3] Montagnani et al. "Trained immunity: perspectives for disease control strategy in marine mollusc aquaculture" https://doi.org/10.1111/raq.12906
[4] De Lorgeril, J., A. Lucasson, B. Petton, E. Toulza, C. Montagnani, C. Clerissi, J. Vidal-Dupiol, et al. "Immune-Suppression by Oshv-1 Viral Infection Causes Fatal Bacteraemia in Pacific Oysters." Nat Commun 9, no. 1 (Oct 11 2018): 4215. https://doi.org/10.1038/s41467-018-06659-3. https://www.ncbi.nlm.nih.gov/pubmed/30310074.
Interview : Erick buffier